Je ne fais pas ici l’apologie de la guerre ou de la lutte armée, mais aucune question ne doit nous être interdite car il s’agit de notre liberté et de celle de notre peuple. Nous devons nous poser toutes les questions sur la nature de la lutte que nous menons et sur la nature de ceux qui nous oppressent. Nous devons briser tous les tabous car il s’agit de notre survie. Je ne mets ici que mes observations sur les luttes des peuples, celles qui les avaient libérés du joug colonial. Ces peuples sont maintenant libres, fiers de leurs luttes et de leurs sacrifices. Il arrivera surement ce jour où nous serons aussi libres et aussi fiers qu’eux, mais pour l’instant nous demeurons encore des colonisés et des soumis à un autre peuple: le peuple arabe. Nous ne maitrisons rien de notre destin, ils ont le droit de vie et de mort sur nous, ils nous méprisent et nous haïssent, ils nous tuent et nous oppressent…Notre situation n’est enviable par aucun autre peuple. Aucune dérobade nous est donc permise, nous devons élucider toutes les questions et surtout être prêts à toutes les éventualités. Rien ne doit surprendre un vieux peuple. Le peuple Kabyle est un vieux peuple.
Nietzche disait (De la guerre et des guerriers, dans Ainsi parlait Zarathoustra)
“Vous dites que c’est la bonne cause qui sanctifie même la guerre ? Je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause. »
« La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain. Ce n’est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu’à présent les victimes. “
C’est vrai que notre pacifisme excessif n’a fait de victimes que de notre coté, que parmi les enfants du peuple Kabyle. Notre pacifisme n’a pas pu préserver de leur mort atroce et décidée par notre oppresseur, les nombreuses victimes kabyles. Souvent les meilleurs d’entre nous. On se les rappelle et on les commémore mais leurs assassins se pavanent et font les fiers, ils ne sont jamais inquiétés. Et notre passivité et notre pacifisme ne les inquiéteront jamais.
Au regard de l’histoire, le pacifisme n’a jamais aidé un peuple ou une société à se libérer de la domination d’un autre peuple. La décolonisation de plusieurs pays, notamment africains ou asiatiques, ne s’est jamais faite sans sacrifices, sans massacres et sans effusion de sang. L’exemple de l’Algérie est révélateur de l’inutilité du pacifisme face un colonisateur qui s’attaque à tous les fondements de la société colonisée et à tous ses repères, et qui pousse à l’asservissement, au mépris et à l’oppression des populations colonisées. Nombreux étaient ces « intellectuels algériens » pacifiques qui appelaient la France à assimiler les populations indigènes, à leur donner un minimum de droit, à leur accorder une citoyenneté...mais peine perdue. La France, mais aussi tous les colonisateurs, ne savait pas entendre la voix des pacifiques, la voix de ceux qui veulent arracher des droits légitimes sans effusion de sang. Les pacifistes ont été toujours méprisés, ridiculisés et décrédibilisés, et la violence continue durant de nombreuses années à être que dans un sens : l’oppresseur agresse, tue, massacre et les oppressés restaient passifs, ne faisaient que subir cette humiliation et tout en continuant à supplier l’oppresseur d’un peu plus d’indulgence. Pour l’Algérie, le déclic arriva, les évènements du 8 mai 1945 furent le déclencheur d’une autre conscience, la France, comme tous les pays qui colonisent, ne savait pas entendre autre que le bruit des armes.
Notre drame et notre tragédie en tant que kabyles et berbères, après tant de sacrifices, car la guerre d’Algérie était vraiment circonscrite essentiellement dans les régions berbérophones, cette guerre ne nous a pas libéré. Les kabyles ont payé un très lourd tribut pour se libérer de l’oppression française pour finalement tomber dans une oppression bien plus redoutable et plus sanguinaire: celle des arabes.
J’entends déjà certaines voix me donner l’exemple indien. Une idée-reçue s’est répandue comme quoi le peuple Indien s’est libéré du joug anglais pacifiquement et sans sacrifices, ils l’ont baptisée « la résistance passive ». C’est méconnaître l’histoire de ce grand peuple et dire ces sottises à un indien qui connaît son histoire, il vous rigolera à la face.
L’indépendance de l’Inde était venue après tant de luttes, de sacrifices et de massacres. La révolte des Cipayes qui malheureusement anéantie par les britanniques et suivie de représailles particulièrement sanglantes, le massacre d’Amristsar de 1919 qui avait déclenché une intensification de la lutte contre les anglais et bien tant d’autres… A partir de 1919 jusqu’à 1947, les anglais n’avaient pas cessé de faire face à des guerres de résistance (les anglais les appelaient « actes terroristes »), et à divers sabotages de leurs intérêts. Les anglais avaient dû faire face à trois fronts : Les hindous dirigés par la majorité du congrès national indien (Nehru a été mis en minorité), la ligue musulmane et bien sûr les sikhs. Trois guerres urbaines et de sabotages généralisés ont contraint les anglais à partir.
Même dans les pays dits civilisés et les conflits des temps modernes, c’est le même constat. En Irlande du nord, le pacifisme n’avait rien amené de positif à la minorité catholique, considérée comme une entité de sous citoyens. Il est reconnu que sans l’IRA, les accords de paix signés donnant aux catholiques leurs droits et leur place n’auraient jamais vu le jour. Le Sinn fein sans l’IRA n’aurait jamais réussi à se faire respecter et à se faire entendre ni par le gouvernement de sa majesté la reine et ni par les protestants irlandais.
Le peuple vietnamien s’est libéré du joug français et puis américain grâce à sa grande lutte armée. L’ANC pour casser le système d’apartheid qui frappait le peuple noir en Afrique du sud ne s’était pas limité aux manifestations de rues ou à des slogans. Les armes et leur lutte armée ont rendu la fierté aux noirs sud-africains. Ils ont récupéré leur pays et la maitrise de leur destin.
Les Etats Unis d’Amérique ne s’étaient pas débarrassé de la tutelle britannique par miracle ou par « fraternité », sans le grand sacrifice « des patriots », ce pays ne sera jamais ce qu’il est actuellement : la première démocratie et la première puissance mondiale. Il n’y a pas plus proche du britannique que son cousin américain mais seule la lutte armée a libéré le dernier de la tutelle du premier.
Le peuple juif éparpillé dans le monde et chassé de ses terres depuis des siècles avait su reconquérir son destin, avait su se régénérer pour arracher leur pays à l’occupant. Les juifs ne s’étaient pas limités aux nombreuses conférences organisées dans les capitales européennes pour sensibiliser en faveur de leur cause, ils ne s’étaient pas arrêtés uniquement à des compagnes de presse très nombreuses et quasi quotidiennes dans les grands journaux occidentaux. Ils savaient que malgré leur richesse, leur pouvoir et leur forte influence dans le monde, la lutte armée était toujours nécessaire pour récupérer leurs terres ancestrales. Ils avaient dû faire une guerre sans pitié aux anglais d’abord, les premiers à organiser des attentats au cœur de Londres pour pousser les anglais à changer leur position initialement favorable aux arabes, puis une guerre sans relâche et qui continue jusqu’à nos jours contre les arabes.
Le constat est partout le même, rien ne sert d’étaler tous les exemples des peuples qui se sont libérés non grâce à leur pacifisme mais surtout grâce à leur sacrifices et leur lutte armée. Le pacifisme excessif et exclusif fait durer la répression et conduit au génocide de l’oppressé.
Depuis 1962, le kabyle feint de voir les choses en face, préfère se dérober à la réalité, il a du mal à reconnaître sa vraie situation en tant que colonisé. Nos « élites » ont tout réduit au problème culturel, qu’ils n’hésitaient d’ailleurs pas à marchander au profit de leurs croyances idéologiques, à le sacrifier pour des intérêts occultes, ils (pas tous, loin de moi cet amalgame) l’ont transformé en un jeu entre les mains des clans du même système qui nous opprime. Tous les courants (marxistes, socialistes, laïcars..) l’ont utilisé uniquement pour leurs propres intérêts. Certes, les kabyles subissent un des plus grands apartheids culturels, mais il n’y a pas que ça. La réalité est que nous subissons un apartheid tout court, il englobe toutes les discriminations. Depuis 1962, les arabes nous traitent comme leur colonisés, comme des sous humains, des individus n’ayant aucun droit et sans aucune dignité. Ils s’amusent et abusent de notre pacifisme.
Il faut absolument casser les tabous et ne pas avoir peur des mots. Le peuple Kabyle est un peuple colonisé. Oui, réellement colonisé. Les kabyles subissent un racisme racial en Algérie et un apartheid des plus pires. Nous avons mis presque 40 ans pour prononcer le mot « autonomie » de peur de paraître singuliers et à part, alors que les arabes n’arrêtaient pas de nous singulariser et de nous mettre à part. De peur que les arabes nous voient en tant que kabyles, alors qu’ils n’arrêtaient pas de nous voir comme tels et uniquement comme tels.
Tout mouvement politique œuvrant pour l’autonomie ou l’indépendance d’un peuple a besoin, s’il veut réussir, d’un bras droit armé qui saura rendre les coups, qui saura protéger ses dirigeants et qui saura intimider ses ennemis et ceux qui complotent contre l’existence du peuple qu’il défend. Une force armée intelligente et habile avec une parfaite complicité et complémentarité avec ce mouvement politique quitte à ne pas assumer publiquement, pour le besoin de la cause, leur lien et leur proximité. Le Sinn Fein n’avait jamais assumé ses liens avec L’IRA mais tout le monde savait le contraire. Le rôle de cette force armée, c’est la dissuasion avant tout autre chose, elle peut être un argument de poids et implicite pour peser dans d’éventuelles négociations, pour dénouer les situations critiques et bloquantes et pour que la peur ne soit pas toujours du même coté. La peur doit être partagée entre l’oppresseur et l’oppressé.
Vive la Kabylie libre
F. A